Aucune Ferrari ne symbolise mieux la transition imposée à Ferrari par Lamborghini à la fin des années 60 que la Daytona. Dernière résistante avant le passage au moteur central arrière, elle conserve aujourd’hui un attrait indéniable et sa version décapsulée transpire le glamour par tous les pores.

Technique et historique

« Les chevaux ne poussent pas la charrue, ils la tirent » : cette phrase célèbre prononcée par Enzo Ferrari résume à elle seul ce qu’est la Daytona. Remettons nous quelques instants dans le contexte : au salon de Genève 1966, Lamborghini a pris le monde entier par surprise en dévoilant la Miura, première supercar de route dotée d’un moteur central arrière. La ligne signée Gandini est somptueuse, l’idée est révolutionnaire et les performances annoncées hors du commun. À Maranello, cette concurrente ne fait cependant pas rire. Car face à elle, Ferrari vient de dévoiler la 330 GTC et la 275 GTB/4 est en préparation pour le salon de Paris 1966. Deux engins mythiques, mais loin de la modernité radicale de la Miura. Il faut donc préparer la riposte. Et c’est en réplique à l’idée d’une Ferrari à moteur central arrière que le Commendatore prononce donc la célèbre phrase. Il faudra d’ailleurs attendre 1973 pour que la 365BB le fasse mentir.

Mais en attendant, le rôle de la supercar pour la marque au cheval cabré sera tenu par un grand coupé héritant d’un V12 sous le capot avant. Le design de l’engin est confié à Pininfarina, et plus particulièrement Leonardo Fioravanti. Ce dernier décide de repartir d’une feuille blanche et dessine en 7 jours un coupé aux lignes tendues, anguleuses et ultra-modernes : ce sera la 365 GTB/4, surnommée Daytona par la presse de l’époque.

Encore surprenantes aujourd’hui, les lignes dessinées par Fioravanti et transformées en réalité par Scaglietti masquent une structure moderne, avec une suspension indépendante et surtout, la dernière évolution du fameux V12 « Colombo ». Avec 365 cm³ par cylindres, il affiche donc 4,4 litres, un angle de 60° et est gavé par 6 carburateurs double corps (généralement Webber, mais quelques exemplaires employaient des Solex). Les 357 ch et 432 Nm de couple sont ensuite renvoyés à la route par une boîte à 5 rapports, installée à l’arrière et formant un seul bloc avec le différentiel pour une meilleure répartition du poids. Les performances annoncées placent la Daytona au sommet de la hiérarchie de l’époque : 0 à 100 km/h en 5,5 sec environ et 280 km/h en vitesse de pointe. Ne vous fiez pas à son âge : même selon les standards actuels, la Ferrari 365 GTB/4 est une véritable sportive.

Fort du succès du coupé présenté en 1968, Ferrari écoute ensuite Luigi Chinetti qui réclame un cabriolet pour le marché américain. En 1971 apparaît donc la 365 GTS/4, où Daytona Spyder. Elle aussi réalisée par Scaglietti, elle conserve l’essentiel des aspect techniques du coupé mais échange cependant la fibre de verre contre de l’acier en divers endroits (cloison arrière, ailes…) afin de compenser la perte de rigidité liée à la suppression du toit. Au total, 122 Spyder officiels verront le jour, en plus des 1 279 coupés produits entre 1968 et 1973.

Ce nombre très faible et l’explosion de la cote des cabriolets durant la bulle des années 80-90 a alors incité un certain nombre d’ateliers à proposer des conversions. On estime qu’un tout petit peu plus d’une centaine de coupés ont perdu leur toit durant cette période. Deux ateliers californien, un spécialiste britannique et un dernier à Modène se sont partagé la majorité de ces conversions, les autres étant effectuées par des artisans isolés. On évoque d’ailleurs souvent une poignée de transformations réalisées par Scaglietti, ce qui s’avère faux. En réalité, Scaglietti a fourni à certains des ateliers (principalement Auto Sport à Modène) des pièces de rechange destinées aux Spyder (coffre, ailes arrière, capotes…). Mais la conversion en elle-même était toujours le fruit d’artisans officieux.

Au volant

L’engin que j’ai entre les mains est l’une de ces conversions. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un Spyder officiel, le premier contact avec une telle voiture provoque une véritable émotion. Il s’agit de la seconde fois que j’ai le droit à un tête à tête avec une Daytona, mais aujourd’hui l’occasion est encore plus spéciale. Car la Ferrari que j’ai sous les yeux est en meilleur état que lors de sa sortie d’usine. Elle vient en effet de passer entre les mains de Modena Classic Works, des spécialistes de la restauration. Et je la découvre dans les stands du circuit de Modène, au cœur de la Motor Valley italienne.

A ses côtés se trouvent une Ferrari 328 GTS, une BB512 et une Porsche 911 Carrera RS 2.7, mais dans sa robe jaune elle parvient presque à les éclipser. La Daytona Spyder transpire autant l’élégance et le glamour qu’une sportivité assumée. Atypique, son style est aujourd’hui follement séduisant.

Un italien en costume s’installe au volant et démarre le V12 qui s’élance sans broncher. Il part chauffer le moteur et les pneus tandis que je signe les décharges nécessaires.
Quelques minutes plus tard, on me confie un casque en m’indiquant la portière passager. Je ne vais avoir le droit qu’à un nombre très limité de tours donc une reconnaissance du circuit n’est pas de trop. J’en profite également pour détailler l’habitacle de l’engin.

La Daytona est une voiture basse, et on descend dans les petits sièges en cuir bicolore. Avec leurs flancs légèrement relevés, ceux-ci évoquent des semis-baquets et offrent d’ailleurs un excellent maintien pour une voiture de l’époque. L’ambiance s’avère indéniablement sportive, mais respire également le luxe attendu dans une grande GT. Et la restauration s’avère tout simplement somptueuse : pas un défaut n’attire l’attention. La voiture étant une conversion, Modena Classic Works a cependant accepté de s’éloigner un tout petit peu des matériaux authentiques, notamment en recouvrant la planche de bord d’un cuir retourné du meilleur effet.

Mais déjà c’est le retour au stand et le moment de changer de siège. Les habitués de Ferrari anciennes retrouvent immédiatement leurs marques : grand volant à la jante trop fine, pédalier décalé sur la droite et, juste à côté du genou, pommeau de vitesses tombant sous la main. Je règle la ceinture, enclenche la première (en bas à gauche de la fameuse grille) et glisse vers la sortie des stands. Je grimpe à 3000 tr/min et le passage en seconde est marqué par le « clic » familier du levier contre la grille.

Le premier tour permet de se familiariser avec la direction légère, les pneus à larges flancs (215/70 15) et le petit circuit de Modène. Il permet également de se souvenir de la souplesse du V12, capable de reprendre à 1 500 tr/min sans broncher. Lorsqu’on enfonce la pédale de droite, l’aiguille du compte-tour débute alors une ascension continue et régulière, qui semble presque inépuisable. La mélodie fabuleuse qui parvient de l’échappement ne fait que s’amplifier jusque dans la zone rouge, au delà de 7 000 tr/min. Petit à petit, j’augmente le rythme.

Le circuit de Modène est un véritable tourniquet sur lequel la Daytona pourrait rester en 3ème tout le temps en profitant de son élasticité. Par pur plaisir, j’alterne cependant avec la 2nde plus régulièrement que nécessaire… Si les décélérations ne se montrent pas des plus puissantes, cet exemplaire à au moins le mérite de freiner droit, un plaisir rare dans une Ferrari approchant le demi-siècle. Le double débrayage permet de s’offrir une ration supplémentaire de vocalises à l’approche de chaque virage, et la courte ligne droite des stands offre enfin l’opportunité de voir l’aiguille grimper à 7 000 tr/min. Pour une voiture de cet âge, la poussée est encore fantastique et la bande-son l’est tout autant. Il ne s’agit pas d’un déchaînement violent, mais d’une force tranquille et constante. Le second tour est l’occasion d’aborder les virages un peu plus rapidement, mais en passant aussi peu de temps au volant d’une voiture dont la cote dépasse les 300 000 €, les limites restent toujours très lointaines. Je retiens tout de même une direction douce mais un peu trop floue, tandis que les suspensions se montrent souples sans tomber dans un excès de mouvements de caisse.

Clairement, la Ferrari Daytona n’est pas la sportive la plus adaptée à une piste, surtout celle de Modène. Mais cette (trop) courte prise en main et mon expérience passée au volant d’un coupé permet d’apprécier ses qualités de super-GT. Il ne faut que quelques minutes pour réaliser à quel point elle serait à son aise sur une grande route sinueuse, où elle peut aborder les virages à des vitesses indécentes sans jamais se montrer traître. A l’époque, le magazine américain Road & Track déclarait que la Daytona était la « meilleure sportive du monde ». Encore aujourd’hui, on comprend pourquoi.

Cote

Après l’éclatement de la bulle de spéculation sur les Ferrari anciennes, la cote des Daytona s’est à nouveau écroulée dans les années 90. Mais comme l’ensemble du marché de l’automobile de collection, elle remonte progressivement et constamment depuis une dizaine d’année. Aujourd’hui, un coupé se négocie en enchères aux environs de 300 000 €. Une somme qui devrait continuer à grimper dans les prochaines années. Un Spyder original est désormais systématiquement proche du million d’euros, et peut occasionnellement le dépasser pour un exemplaire profitant d’un historique particulier. Après la folie des années 80 et 90, période durant laquelle les conversions se négociaient à un prix largement supérieur à celui des coupés, elles se sont aujourd’hui stabilisées à quelques dizaines de milliers d’euros au dessus des coupés. Un exemplaire en parfait état comme celui que nous avons essayé pourrait donc aisément dépasser les 350 000 €…

Verdict
+ V12 fabuleux à tout point de vue, dernière Ferrari d’une ère, comportement de super-GT, le plaisir du Spyder au prix du coupé (pour la conversion)
Direction pas assez informative, freinage moyen, prix d’achat et d’entretien

Caractéristiques
Moteur : V12, 4 380 cm³, DACT, 6 carburateurs double corps
CO2 : NC
Puissance : 357 ch à 7 500 tr/min
Couple : 432 Nm à 5 000 tr/min
Vitesse maximale : 280 km/h
0 à 100 km/h : environ 5,5 s
Nombre d’exemplaires : 1 279 coupés (dont un peu plus de 100 conversions), 122 Spyder officiels
En vente : 1968 – 1973


En bonus, quelques tours au coeur d’une Porsche 911 2.7 RS lors du même événement :

 

2 Réponses

  1. Nico77360

    Merci pour l’article… elle fait partie des 5 Ferrari que j’aimerais avoir une fois au moins dans mon garage:
    – F40
    – 512TR
    – 365 GTB4 dite « Daytona »
    – F355 Spyder
    – Ferrari California (actuelle)

    Merci de nous faire rêver !

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