Nous attendions cet instant depuis le Mondial de Paris 2008. Il semble donc presque normal et approprié que tout commence ainsi, devant la grille d’un lieu sous haute surveillance. On scelle l’objectif de mon iPhone tandis que je signe une décharge sous les regards suspicieux de gardiens en uniforme qui finissent par m’autoriser à franchir les barrières.
Le responsable, quoique patibulaire, se montre plus cordial mais me demande mon accréditation. Saisi d’un doute, je réponds ‘heu, il me semble que j’en ai une’. Il vérifie dans le système. ‘Elle est périmée depuis 2007’, répond-t-il alors que ma gorge s’assèche. Il s’agit d’un grand jour et si mon sens de l’organisation approximatif vient le compromettre, je vais peut-être devoir changer de métier. ‘Ah non, vous en avez reçu une nouvelle en mars, c’est bon’. J’acquiesce avec une assurance feinte et signe un nouveau papier, cette fois en échange d’un talkie baptisé Pogo #707.

Ok, peut-être que j’en rajoute un peu. Je suis déjà venu à maintes reprises sur le centre d’essai de Millbrook, situé à 70 km au Nord de Londres. Je ne devrais rien ressentir de particulier. Mais je ne me sens pas à l’aise dans cette vaste installation remplie de pistes tortueuses et de surfaces pensées pour pousser les prototypes dans leurs retranchements. Le genre de sentiment que l’on ne ressent habituellement que lorsque la police nous arrête pour un contrôle de routine.

Notre mission du jour ressemble de toute façon à une infiltration secrète, ce qui ajoute à la tension. Le photographe désormais à mes côtés semble également penaud. Ses objectifs n’ont pas été scellés, mais un garde le suit comme son ombre pour s’assurer qu’il ne vise qu’une seule voiture. Je pense que l’anneau de vitesse et les différents circuits sinueux n’offriront de toute façon pas de proies plus intéressantes aujourd’hui. Car nous avons mis la main sur une Aston Martin One-77. La numéro 17, pour être précis. Un monospace compact hautement camouflé faisant des tests d’endurance ne devrait pas vraiment attirer notre attention, non ?

La remorque remarquablement banale dans laquelle a voyagé la One-77 est déjà vide lorsque nous gagnons les locaux permanents d’Aston Martin à Millbrook. Le bâtiment vitré dans lequel les tables basses en bois véritable sont recouvertes de ces beaux magazines que personne ne semble jamais lire restera fermé ce matin. Il ne s’agit pas d’une voiture de presse et la marque ne nous a pas aidés à trouver une One-77 à essayer. A vrai dire, aucun média ne devait conduire la One-77.

Mais le propriétaire de cette voiture souhaite l’utiliser comme une supercar se doit de l’être, et pour cela nous lui devons une dette qui courra sur plusieurs générations. Il nous a confié sa One-77 pour deux jours et nous allons la conduire ici, à Millbrook, ainsi que sur de véritables petites routes, détrempées pour l’occasion. Nos confrères de Top Gear ont essayé une One-77 à Dubai récemment, donc il ne s’agit pas tout à fait d’une exclusivité mondiale. Mais la campagne galloise n’offre pas tout à fait les mêmes conditions que le désert et je sais déjà quel terrain permet d’en apprendre le plus sur la voiture. Mais pour le moment, je ne souhaite rien d’autre qu’admirer cette One-77 vert cendré ‘Aston Martin Racing’ dont la beauté s’avère aussi brutale qu’hypnotique.

Que savons nous de la One-77 ? En réalité, pas mal de choses. Si Aston n’a pas souhaité en laisser le volant aux journalistes, la marque n’a pas fait preuve de la même timidité vis-à-vis de son incroyable fiche technique et du raffinement de sa fabrication. Comment lui en vouloir ? Une One-77 terminée laisse bouche bée, mais le châssis en carbone qui s’est baladé de salon en salon se montra suffisant pour que des adultes rationnels versent une larme et signent de très gros chèques à la vitesse ‘grand V’. 1,5 million d’euros ? Si vous en aviez les moyens et que vous croisiez la route d’une One-77 sur un stand, la somme devait vous bruler les doigts.

Mais récapitulons. La One-77 repose sur une monocoque en carbone recouverte de panneaux d’aluminium façonnés à la main. Le châssis ne pèse que 180 kg mais revendique une rigidité extrême. Et il faut 3 semaines à un seul homme pour transformer une unique feuille d’aluminium en l’une de ces extraordinaires ailes avant. Trois semaines pour une aile ! Pourtant, il semble logique que l’Aston Martin ultime rende hommage au talent des hommes qui ont martelé et lissé l’aluminium durant des années parfois très sombres à Newport Pagnell. Une carrosserie en carbone ne représenterait pas un tel symbole.

Bien entendu, la structure de base de la voiture se devait également de respecter certaines traditions. Il s’agit donc d’un V12 central avant transmettant sa puissance aux roues arrières via une boîte manuelle robotisée à 6 rapports. Mais l’habituel V12 Aston de 5,9 litres a subi de larges révisions chez Cosworth Engineering. Son volume passe donc à 7,3 litres et son poids diminue de 60 kg ; il gagne au passage un carter sec et son taux de compression grimpe à 10.9:1. Aston affirme que ce monstrueux V12 développe 760 ch et 750 Nm de couple. Il se situe également plus bas de 100 mm dans la One-77 que dans la DB9, grâce au carter sec, et prend place très en retrait de l’essieu avant. Il communique avec la boîte transaxle à 6 rapports grâce à un arbre en carbone installé dans un tube en alliage de magnésium. Enfin, il ne faut pas oublier les suspensions inversées entièrement ajustable afin que chaque client puisse configurer la voiture selon l’usage qu’ils en feront.

‘Soyons honnêtes, la One-77 va être plutôt extrême’ a expliqué Chris Porritt, le responsable du programme, à propos de la voiture. Je ne sais pas ou se situe exactement cette One-77 entre ‘plutôt extrême’ et ‘vraiment extrême’, mais je sais que son propriétaire possède quelques engins particulièrement brutaux dans sa collection. Je pense donc qu’on a ici affaire à la One-77 dans sa configuration la plus aboutie. Je connais également suffisamment Porritt pour savoir qu’il aime le même genre de caractère que les propriétaires les plus enthousiastes d’Aston. Notre modèle correspond donc probablement à la One-77 telle qu’imaginée par les ingénieurs.

Je ne sais cependant toujours pas à quoi m’attendre. Une V12 Vantage pourrait être décrite comme ‘plutôt extrême’ chez la plupart des constructeurs, mais dans une sphère occupée par les Carrera GTs, Enzos, Koenigseggs et autres Zondas, elle se montre aussi excitante qu’une Golf Bluemotion. Où se situe donc la One-77 ? Et pourquoi Aston ne souhaitaient pas qu’on la conduise ?

La porte conducteur s’ouvre et s’arc légèrement vers le haut, comme elle le ferait dans une DB9 ou la nouvelle Vanquish, mais le mouvement d’ordinaire lent a disparu et elle s’écarte comme un ballon d’hélium qui nous échapperait des mains. La contreporte laisse apparaître de la fibre de carbone brillante et une étrange lanière avec couture façon gant de baseball qui sert à la tirer vers soi. Mais notre attention se porte tout de même sur les superbes habillages beige et noir.

Le tableau de bord appartient clairement à la famille Aston, mais les formes semblent allongées, prenant la forme d’élégantes gouttes d’eau, adoucies et sculptées pour que l’ensemble de l’habitacle paraisse presque organique. Il ne s’agit pas d’une voiture dans laquelle on saute et on démarre immédiatement. Non, on prend son temps pour admirer et respecter l’ouvrage. Cela peut paraître d’un romantisme incompréhensible, mais la One-77 exulte réellement une ambiance exclusive qui rivalise en tous points avec une Pagani Huayra. Et elle possède un sens de la mise en scène qu’on ne retrouve pas dans la très chirurgicale et sérieuse Veyron.

Le siège délicieusement dessiné se trouve très bas, on descend donc dedans et on ressent la même excitation que lorsqu’on s’installe pour la première fois dans une voiture de course dont le baquet est positionné avec plus de considérations pour le centre de gravité que la visibilité. Si le volant carré en Alcantara semble étrange, dans la réalité il s’avère sublime et offre une prise en main naturelle. Derrière lui, les instruments en graphite ne facilitent pas la lecture, mais le cerveau enregistre tout de même que le compteur grimpe jusqu’à 350 km/h et que le compte-tour monte à 8000 mais ne possède pas de zone rouge. Si l’on en croit les annonces d’Aston Martin, l’aiguille devrait pouvoir dépasser les 350 km/h, après avoir franchit la barre des 100 km/h en 3,7 sec (apparemment, un essai aurait donné un 0 à 160 km/h en 6,9 sec. Pour comparaison, une Koenigsegg CCX demande 7,7 sec et une Enzo 6,7 sec.).

On empoigne alors l’étrange morceau de cristal qui sert de clé et on le glisse dans la fente découpée au milieu du bouton ‘start’. Ce qui se produit ensuite justifie presque les 1,5 millions d’euros. Le V12 de 7,3 litres se réveille dans l’air frais en crachant un son pointu, pur et… malveillant. Un légère pression sur la pédale d’accélérateur et l’aiguille du compte-tour effectue un bref aller-retour avec une vivacité qui rappelle les V10 des Carrera GT et Lexus LFA. Un mot revient dans mon esprit : ‘extrême’. Je tire la palette de droite et la boite enclenche la première. Mais mon application timide de l’accélérateur lance la One-77 avec autant d’à-coups qu’une Clio lors d’une première leçon d’auto-école. La voiture semble réellement virulente et n’a que faire de mon respect pour sa valeur.

Le passage en seconde se montre plus doux, mais la sensation de fragilité typique des boites à simple embrayage reste présente, d’autant qu’elle s’avère renforcée par la légèreté du volant moteur et la férocité du V12. Il s’agit vraiment d’un moteur unique à la sonorité délicieusement et terriblement violente. Bien sûr, il possède suffisamment de couple pour égrener les rapports tranquillement, mais on ne peut resister à la tentation de le manier comme un VTEC pour l’entendre et le sentir s’envoler au-delà des 5000 tr/min. Il ne suffit que de quelques mètres pour se rendre compte qu’il ne s’agit pas d’une supercar façon Veyron. Non, il s’agit d’un engin bien plus déjanté, qui évoque quelque chose comme une Koenigsegg à moteur avant.

Cependant, la One-77 n’apparait pas comme sur-sensible ou inconsistante.La direction possède la même lourdeur que celle d’une V12 Vantage et ses réponses se montrent réfléchies et rassurantes. Dans une F12, la vitesse de la direction occupe l’esprit en permanence, mais le système de l’Aston s’avère plus intuitif et permet donc de se concentrer sur le châssis et le moteur. Sur le tracé étroit et exigeant du circuit alpin de Millbrook, on ne peut qu’apprécier ce caractère.

Des P Zero Corsa froid mesurant 335 mm de large n’apprécient pas vraiment le tarmac glacial, et le contrôle de traction vient en permanence brider le V12. C’est un combat perdu d’avance et l’Aston se débat entre brides et pertes de motricité. Pour sélectionner le mode DSC Piste ou le couper totalement, il faut soulever la boite à gant centrale (une légère pièce de carbone recouverte de cuir) pour trouver un morceau de chrome oblong surmonté par le dessin d’une voiture en travers. Il faudrait probablement le peindre en rouge ou le protéger d’une vitre ‘à ne briser qu’en cas d’urgence’. Je décide que DSC Piste reste la solution la plus raisonnable.

Le circuit Alpin de Millbrook s’apparente à une montagne russe truffée de virages aveugles, de dévers traitres et d’un énorme saut. Dans une voiture aussi large et chère que la One-77, cela s’approche donc de l’enfer sur terre. Cela dit, après les premiers tâtonnements, la grosse Aston commence à se sentir plus à l’aise. Harry Metcalfe découvrira comment elle se comporte sur de véritables routes plus tard, mais ici il s’agit d’une voiture ferme, alerte et agile. On ne sent aucun mouvement de caisse, ce qui permet de s’appuyer réellement sur les pneus avant. Ils semblent très loin de nous, mais le moteur ne vient du coup pas trop les charger, ce qui permet à la One-77 de conserver son grip en milieu de courbe alors qu’on s’attend à du sous-virage. Le DSC bride le couple du V12 à la réaccélération, puis libère le moteur à mesure que l’on remet la voiture en ligne. Les Pirelli commencent alors à glisser et l’Aston ressort en légère glisse. Tout semble aller très vite. C’est véritablement un rythme sauvage, presque enragé.

On réalise rapidement que la One-77 réclame plus d’espace et que les pneus préfèrent un climat plus clément que la campagne britannique en décembre. En réalité, je ne peux vraiment apprécier les montées du V12 que sur la ligne droite de 1600 mètres de Millbrook et, bien que j’effleure du doigt les talents du châssis, je sais qu’il ne s’agit là que d’une fraction de ce que la One-77 peut offrir. Je fini tout de même par déconnecter totalement le DSC et elle devient alors plus prévisible. Le moteur fourni en effet exactement ce qu’on lui demande, quand on lui demande. Une fois ou deux, je provoque même la One-77 en milieu de courbe, la laissant s’installer dans une glisse, contrôlant la dérive et l’équilibre grâce à l’accélérateur. Cela paraît totalement fou, mais je pense que je n’aurais plus jamais une occasion de ce genre.

Je n’oublierais jamais le sentiment de jouer au funambule qui m’envahit à l’approche des limites. La One-77 a une sauvagerie ancrée dans son ADN. Harry, il va te falloir un gros petit-déjeuner demain…

Retrouvez la partie routière de cet essai magique dans Evo 77 en kiosque en ce moment !

Essai sur circuit : Aston Martin One-77
Moteur : V12, 7 312 cm3, 48 soupapes CO2 : 572 g/km Puissance : 760 ch à 7 500 tr/min Couple : 750 Nm à 6 000 tr/min Vitesse maxi : 354 km/h (constructeur) 0 à 100 km/h : 3,7 sec (constructeur) Prix de base : 1 500 000 € En vente : Maintenant
Moteur100%
Comportement90%
Qualité & Design95%
Confort & Pratique60%
Emotion95%
LES +
  • Sonorité du V12
  • Agrément de conduite
LES -
  • Prix
  • Beaucoup (peut-être trop) de puissance
88%Note Finale
Note des lecteurs: (60 Votes)
74%

11 Réponses

  1. bob

    Exceptionnel. Un vrai régal à lire.
    A déguster sans modération. Une voiture qui n’a peut-être pas l’excellence technique d’une Ferrari mais question âme, elle est imbattable.
    Ces journalistes-essayeurs font un métier fantastique…

  2. Si c'est vrai

    Totalement d’accord. J’ai juste énormément de mal a apprécier la ligne des 3/4 avant. Et c’est un vrai problème, puisque, malheureusement, je n’en verrai que l’extérieur.

  3. manil

    C vraiment une superbe machine moi j la trouve superbe comme il faut , un savoir faire anglais que j apprécie beaucoup dommage que je n aurai jamais la chance d ecouter chanter un tel engin dans mon garage

  4. gmax

    Un veritable bijou,à entretenir avec grand soin,quel chef d’oeuvre,aucune autre marque ne sait aussi bien allier sportivité avec classe!Une voiture qui se fera bien trop rare dans nos petites rues francaises,dommage,c’est encore ces foutus rois du pétrole qui vont les acquérir et qui ne sauront pas apporter à ces voitures le standing qu’elles meritent,le seul défaut de cette voiture,ses acheteurs!

  5. Yann PLUSQUELLEC

    LA référence ABSOLUE en matière de classe, de design, de qualité de réalisation, de pouvoir émotionnel… Quelle voiture !!!… Chapeau, et Merci, Mr Astin Marton !

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